Nénuphar, bol d'air frais et courant de profondeur

Publié le par Ismaëlle

     Aujourd’hui Ismaëlle est sous la couette pour essayer d’étouffer le nénuphar qui pousse dans sa poitrine.

     Mais hier c'était le grand bol d’air frais. Gorge déployée, oreilles grandes ouvertes et petits frissons d’émotion à la rencontre de la pédagogie coopérative.

 

     Hier matin, malgré la nuit, malgré la neige, Ismaëlle n’a pas attendu les heures de sommeil qui lui manquaient pour se mettre en route. Elle a demandé au nénuphar de rester à la maison, a empaqueté son corps avec de la chaleur multi-couche et enroulé sa tête au milieu d’une pelote de laine. Elle ne pouvait plus bouger plus respirer. Elle a fait 2 petits trous pour les yeux et deux autres pour les pieds. Elle a sauté dans ses boots et hop c’était parti pour le périple.

 

     Y’en a pas beaucoup qui se lèvent à 6h30 le samedi des vacances, qui traversent la neige et les couloirs de métros, qui changent à Palais-Royal et encore à Champs-Elysées Clémenceau. Ils sont pas nombreux ceux qui sortent aux Agnettes le samedi matin sous la neige et la nuit, qui ouvrent grands leurs yeux derrière les tout petits trous de leur pelote et qui cramponnent leurs botes sur les trottoirs verglacés, en essayant de se convaincre de toutes leurs forces qu’ils ont des griffes au bout des orteils.

       

     Ils étaient une quarantaine.

Ça n’était pas rien. C'était beaucoup. Beaucoup pour Ismaëlle qui a pu laisser de côté le nénuphar, le miel gluant et le Monsieur-Tout-Gris. Hier, j’avais le cœur tout chaud, tout rempli par la beauté de la rencontre. Loin les murs froids de l’éducation nationale et des chaises bancales de la salle des maîtres.

     Il faisait chaud dans les locaux de la Céméa de Gennevillier.

   

     J'ai retrouvé en rentrant à la maison le nénuphar qui m’avait bien sagement attendu sous la couette. Il m'a sauté dessus par surprise et m’a clouée au lit . Aujourd’hui je garde mes griffes au chaud et je laisse les plaques de verglas tranquilles.

     Mais là-bas, de l’autre côté du périph, les Freinet s’activent pour construire des façons nouvelles d’aider les petits chats à grandir.

 

     Mine de rien, au milieu du flot de miel gluant qui coule entre les murs froids, il y en a des, avec leurs pantalons en velours côtelé serrés aux chevilles, leurs lunettes pendouillantes autour du cou, leurs pulls multicolores à grosses mailles sortis tout droit des années 80, il y a en a des qui ne font pas ce qu’on leur demande.

          Ils sont tout calmes, très discrets, les Freinet.

     Mais ils sont là. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit. Et ils existent depuis longtemps. Ils écrivent des livres et publient tout un tas d’outils pour les élèves. Ils animent des stages pendant les vacances pour aider les nouveaux à faire entrer dans leur classe l’air frais de la pédagogie coopérative.

     Dehors le Monsieur-tout-gris, dehors les leçons matraquées à grands coups de  manuels scolaires dans les petites têtes éberluées ! Vivent les créamaths, les textes libres, le ‘Quoi de neuf ?’ et le conseil d’élèves  !

 

 


     Ça va pas entrer tout de suite d’un seul coup sur le Petit Navire entre les tours. Il y a du boulot, on ne s’improvise pas pédagogue des méthodes naturelles d’apprentissage. Il va falloir passer encore beaucoup de jours de vacances à faire des stages, il va falloir lire les livres des instits en chandail.

     Ça viendra doucement, au fil de l’eau, petit à petit.

 

     Face au scandale de la violence avec laquelle on assassine le goût du savoir dans les écoles françaises, j’ai répondu par la colère. J’aurai voulu ouvrir sur le large les portes et les fenêtres, sortir à grands coups de pieds le Monsieur-Tout-Gris et laisser toute la place pour les méthodes naturelles d’apprentissage.


      Agitation inutile.

J'ai brassé du vent sans faire beaucoup avancer le Petit Navire. Rage et précipitation ne sont pas les bonnes armes face au monstre imbécile de l’institution. A vouloir trop et trop vite, je déroute les chatons qui ne connaissent que les navires tenus à la baguette, et je m’épuise contre des vents contraires beaucoup trop puissants pour mes voiles toutes jeunes.

     Pour gonfler des voiles solides, il faut souffler doucement, mais sûrement, en testant progressivement leur résistance. Sinon on s’épuise, et on finit le premier trimestre sous la couette avec un nénuphar dans les poumons et la mutinerie qui menace à bord.


     J’étais en colère, révoltée, isolée.

Je découvre le militantisme, la résistance, l’organisation. Et comme dit mon pote Henri : « pour sortir vraiment de la solitude on doit être moins violent, moins énervé, et ne pas avoir une âme à se contenter d'un spectacle. »


     C'est ça que me donnent à comprendre les Freinet, avec leurs moustaches grises et leurs longs cheveux colorés au henné ; ça ne vient pas tout suite d’être bien et bon dans sa classe, ça ne vient pas tout de suite l’air frais et multicolore dans les couloirs de l’école, et encore moins entre les murs de l’éducation nationale.

          Mais ça vient, avec le temps.

Avec moins de violence, moins de précipitation. Mais moins de fragilité aussi, et beaucoup plus d’assurance.

Lentement, mais sûrement, je vais hisser de nouvelles voiles.

           J’apprends.

 

 

 

 

"Une tête sort du mur", Lointain intérieur, Henri Michaux :

 

une tete sort du mur

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F
<br /> A te lire on ne peux pas douter qu'une jolie brise s'installera dans la grand voile et que tu traceras une route qui sera tienne, tout au bénéfice de ton épanouissement de pédagogue et du<br /> développement des chatons !!!<br /> Que ton année 2010 soit pleine de projets, de patience et de réussites !<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Alors BON VENT ma belle Ismaëlle !!!<br /> Et les nénuphars c'est fait pour les mares pas pour les poumons !!! Alors rends-le !<br /> Fais attention à toi et bonne fin de vacances<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Alors BON VENT ma belle Sarah !!!<br /> <br /> <br />
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J
<br /> la prochaine fois, je t'accompagne... "le militantisme, la résistance", c'est mon refuge de vacances dans l'éducation populaire, mais les faire entrer au lycée, oui !<br /> <br /> <br />
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I
<br /> <br /> avec plaisir !<br /> <br /> <br /> <br />